Pourquoi persévérer ?



Une petite histoire de conclave

Quand un « conclave » destiné à trouver un accord au terme d'une négociation entre partenaires sociaux « sans totem ni tabou » devient le théâtre d'un jeu bien peu sincère.
Quand une partie des organisations, après avoir écarté certains partenaires syndicaux, quitte la table de négociation, les discussions à peine entamées.
Quand le Premier ministre transgresse lui-même les principes du conclave qu'il a initié en refusant de débattre des 64 ans.

Alors même qu'une intersyndicale responsable et unie est parvenue à structurer un mouvement social d'ampleur historique avec 14 manifestations, sans violence ni débordement. L'intersyndicale avait construit ce mouvement sur le rejet des 64 ans, encore refusé aujourd'hui par 70% de la population.

Pourquoi persévérer alors que l'échiquier politique, désespérément tourné vers la seule course pour 2027, ne nourrit aucun espoir d'accord et le craint même ? Cela devrait pourtant être l'objectif de tous. Mais entre ceux qui espèrent fragiliser le couple exécutif, ceux qui veulent décrédibiliser les syndicats pour incarner avec populisme la défense des travailleurs, et ceux qui souhaitent évacuer cet obstacle pour proposer 67 ou 70 ans après une campagne présidentielle qui fermera toute discussion... quel espace reste-t-il pour un accord ?

Pourquoi persévérer quand le président du COR (Conseil d'orientation des retraites) se permet des fuites, assez largement téléguidées, sur certaines petites phrases d'un rapport non finalisé ni approuvé collectivement ? Tout cela pour compromettre un débat déjà difficile ?

Nombreux sont ceux qui cherchent davantage à faire porter aux autres la responsabilité de l'échec plutôt qu'à bâtir un accord, au prix du travail et du compromis. Les experts qui analysent depuis leurs bureaux savent-ils vraiment mieux que nous ce que négocier les retraites veut dire ?

Pourquoi persévérer alors qu'il serait plus simple de nous draper de vertu et de quitter la table en imputant aux autres les raisons d'un échec ?

Je refuse ce choeur du renoncement. Je n'écoute pas les pourquoi. Je me concentre sur le pour qui !

C'est pour ces femmes parmi les 14 millions qui ont perdu 2 ans, alors qu'elles touchent déjà 40% de moins que les hommes à la retraite...

C'est pour les 15% de travailleurs pour qui le CDI n'est pas la norme et dont la carrière hachée et incomplète les condamne aux 67 ans.

Pour les milliers de travailleurs et travailleuses exposés à la pénibilité. Ils partent cassés à la retraite avec une espérance de vie en bonne santé à la retraite amputée de 6 ans en moyenne par rapport aux cadres...

Voilà pour qui je persévère et tente d'arracher un accord qui améliorera concrètement la vie de ces personnes.

Si je prends du recul, c'est aussi parce qu'un nouvel échec des partenaires sociaux achèvera un peu plus l'idée magnifique du paritarisme. Ils sont déjà nombreux à vouloir enterrer le paritarisme et à crier que le dialogue social est à bout de souffle.

Depuis 8 ans, l'exécutif y contribue en enjambant les partenaires sociaux et les corps intermédiaires dans des simulacres de contacts directs avec le peuple (sans jamais aller jusqu'au référendum et à grand renfort de 49.3). C'est, avec une fausse modernité, adopter tous les codes populistes. C'est méconnaître et fragiliser encore plus le corps social qui se structure dans un jeu riche et complexe de représentations, de fédérations, de syndicats, de mutuelles, d'associations et d'un sentiment collectif plus structuré que ne l'espèrent les populistes !

La seule perspective à laquelle je travaille se trouve là : défendre les salariés, défendre une gestion paritaire des solidarités collectives et tracer une route vers un système universel de retraite. Ce système, proposé depuis des années par la CFDT, laisse le choix à chacun et chacune dans un corpus de règles claires garantissant sa stabilité économique.

Voilà pourquoi je persévère alors que dans 24 heures, c'est la fin du « conclave ». J'espère encore, à cette heure, qu'il se terminera par un accord.

Voilà pourquoi je persévère alors qu'en cas d'échec, je verrai défiler ceux qui diront « on vous l'avait bien dit » ... « les sociauxtraîtres n'ont rien obtenu » !

Voilà pourquoi je persévère alors qu'en cas d'accord, on n'aura pas de mal non plus à trouver des commentateurs pour dire « trahison ! Un accord faible ! Décevant ! Pas à la hauteur ! »

Accord ou pas, je sais d'avance que la CFDT et moi-même serons renvoyés vers une posture de compromis faible et tiède !

Je pourrais partir, me draper de vertu. Mais je reste. En responsabilité.

C'est en connaissance de cause que nous avons pris ce risque et que nous le prendrons à chaque fois : dès qu'il y a une possibilité d'aller arracher un progrès pour les travailleurs, la réparation d'une inégalité ou la fin d'une discrimination, nous serons de la partie. 

Car entre le confort de l'abstention et la difficulté de la construction, je choisis la difficulté.

C'est cela, persévérer.

Marylise Léon